Un chantier, une histoire : Rocca

 

LE CHANTIER ROCCA,

ou l'histoire d'une famille italienne venue chercher fortune en France

Cest en 1923 que Domenico Rocca, le patriarche, arrive d'Italie. Menuisier-Charpentier, il fait ses premières armes dans l'usine Chauvière spécialisée dans la construction d'hélices et de canoës. C'est donc là qu'il apprend à reconnaître les différentes essences de bois et la façon de les travailler dans le cadre d'une utilisation nautique. En 1928, il devient contremaître et décide de fonder son propre chantier ; il s'installe alors à Vitry sur Seine. A la différence de ses concurrents, il adapte ses constructions aux désirs de ses clients en utilisant des matériaux de premier choix (acajou grand bassam, spruce, frêne, cèdre, acajou Honduras d'Amérique)

Domemico Rocca, le père, s'occupe des prototypes

 

Les premières livraisons sont effectuées sur une remorque tractée par un vélo. La fabrication augmente progressivement et à la déclaration de la guerre, son chantier compte 10 ouvriers. En sortie de guerre, en 1944, Domenico Rocca reprend ses activités avec des moyens de fortune !

Ses deux fils, Louis et Oreste, le rejoignent dès la sortie de l'école.

Les commandes affluent rapidement ; ainsi, en 1946, le chantier doit s'agrandir ; un nouvel hangard et un bureau sont alors adjoints à l'atelier.

Le moteur hors-bord devient de plus en plus utilisé dans le monde de la plaisance.

Le chantier innove en créant un nouveau concept de canoe à moteur : le canot madeira. Ce modèle ne se termine plus par une poupe effilée, mais par un arrière tronqué d'un tableau. Il peut donc être propulsé par un moteur -de 2 à 7 cv-, (Monet-Goyon, Lutetia) mais aussi utilisé à l'aviron, la pagaie ou à la voile. Ce canot a été étudié à la fois pour la mer et pour la rivière. C'est un modèle très en vogue qui donne naissance au premier dinghy du chantier.

C'est dans les années 50 que les ventes de bateaux de plaisance en bois vont exploser. En plus de ses productions, le chantier, outre une gamme très variée de canoes et de dinghyes de toutes tailles et de runabouts, commercialise des remorques et des moteurs.

Quelques modèles !
Rocca construit également des vedettes-cruisers. Ces bateaux,"grand luxe" à cabine décapotable, c'est idéal pour des croisières en mer... Embarcations spacieuses, confortables, pour 6 personnes. Pont avant "bain de soleil".

Cette vedette, sur demande, pouvait être construite pour recevoir deux moteurs hors-bord de 15 ou 25 CV, avec commandes à distance couplées.

Louis et Oreste, très tôt, au contact quotidien avec ces bateaux, sont attirés par la compétition, surtout Oreste, le plus fougueux. Louis, le technicien en préfère la mise au point.

Louis, le Technicien

Oreste, le Commercial et le pilote...

Les succès ne se font pas attendre, Oreste affiche un palmarès prestigieux :

RECORDMAN du MONDE de VITESSE Classe X : novembre 1953
CHAMPION de FRANCE Classe c : 1953
RECORDMAN du MONDE de l'heure Classe CIU : juin 1955
CHAMPION de FRANCE Classe X : 1955
RECORDMAN du MONDE de VITESSE Classe C : novembre 1956
GRAND PRIX INTERNATIONAL de MONACO Classe DU: 1956

Tous ces titres contribuent largement à la renommée du chantier. C'est également à cette époque là qu'Oreste accomplit des exploits motonautiques dans le cadre de l'émission de Pierre Bellemare, "La Tête et les Jambes" .

Puis apparurent les résines de synthèse, via les USA. Ainsi, malgré la réticence de Domenico, son fils Louis le Technicien obtient un emplacement pour mettre au point ces nouveaux procédés de fabrication. Les premières coques construites ne furent jamais commercialisées, mais furent utilisées pour des spectacles nautiques qui servaient de banc d'essai : saut de tremplin, traversée de flammes, échouage à pleine vitesse sur la rive, ... Ces coques supportèrent avec succès toutes ces rudes épreuves.

La reconversion démarre alors dans un chantier de nouveau agrandi (4.000 M2). Pour promouvoir la sortie de ces premiers modèles, Oreste engage un dinghy de 500 cm3 dans le championnat de France, championnat qu'il remporta en 1955, cette victoire en appelant de nombreuses autres (environ 200 trophées)

 

Dans la foulée, les premiers dinghies polyester "de série" font leur apparition . Ils sont présentés au Salon nautique qui se tient, à flot, au pied de la Tour Eiffel, en plus de toutes les gammes fabriquées par le chantier : bois, mixte bois-polyester, polyester, affichant ainsi tout leur savoir-faire.

Ci-contre : Coque en stratifié de polyester, armature frêne, pont contreplaqué marine, plats bords acajou

Ci-dessous : Coques polyester

Le chantier emploie en pleine saison 100 ouvriers et quotidiennement une quinzaine de coques nues sortent de prodution.

En 1957, le chantier Rocca a construit 1500 bateaux, en utilisant 300 m3 de bois, 15 tonnes de vernis/peinture, 80 tonnes de résine, 70 tonnes de tissu de verre et 5 tonnes d'accastillage.

Pour sa construction "plastique" Rocca n'emploie que des tissus mat, roving et varrane qui sont imprégnés de résine à l'aide du rouleau et du pinceau, selon les emplacements;

Rocca a également fabriqué des runabouts pour Constantin, ainsi qu'un accessoire original : le "roof amovible pour dinghies"

En 1961, le chantier s'inspire des lignes américaines et présente les modèles Ski-Flash, Impala et Sabre, entièrement construits en polyester. Le chantier emploie alors plus de 100 personnes.

Ski-Flash
Impala
Sabre

Figées au garde à vous, comme pour une revue, les coques du Ski Flash et de Sabre sont stockées afin de satisfaire à la demande dans les plus brefs délais, lorsque la saison débute

Le San Remo qui complète une gamme déjà large, est fabriqué en série. Ci-dessus, on procède au montage du liston chromé.

1966 : inauguration d'un nouveau hall d'exposition (photo ci-dessous)

C'est à cette époque que se situe le développement éclair du chantier, construisant plus de 3000 bateaux par an. L'extension de la fabrication et l'amplification du nombre de modèles ne permettaient plus de faire tenir les 38 bateaux dans le petit hall existant. Ainsi, Oreste, malgré les difficultés posées par un agrandissement, triomphait des difficultés administratives et réussissait à construire juste en face de l'ancienne usine un nouveau bâtiment ultra moderne et d'esthétique d'avant-garde de 1500 m2 répartis sur 3 niveaux.

A l'exemple d'Oreste détenteur de plusieurs records du monde et dont ne comptait plus les victoires en compétitions internationales, les 170 agents que comptait le réseau avaient toujours été des sportifs pratiquant le motonautime. C'est pourquoi, l'inauguration eut lieu le surlendemain des Six heures de Paris, grande date du calendrier motonautique, en présence de Monsieur Roland Nungesser, Président Fondateur du Conseil national de la navigation de plaisance et des Sports de l'eau

Les succès en compétition continuent pour Oreste

Ci-dessus, remise de diplôme par Claude Bouilloux-Lafont, Vice-Président Délégué de la FFM, en présence de Son Excellence l'Ambassadeur Granval, Secrétaire de la Marine Marchande.

Rocca Baby-skis - modèle de série ayant servi à homologuer la formule junior de la Fédération Française Motonautique, équipé d'un moteur de 33 cv

CHAMPION d'EUROPE 600 CM3 : 1957
CHAMPION de FRANCE Classe CIU : 1957
GRAND PRIX INTERNATIONAL de MONACO Classe DU: 1956, 1957, 1959,1960
GRAND PRIX INTERNATIONAL de MONACO Classe CIU : 1958, 1959,1960
CHAMPION d'EUROPE Classe DU: 1960
CHAMPION d'EUROPE Classe DU: 1964

En dix ans, le chantier Rocca a mis sur pied un réseau commercial important : 170 concessionnaires français (1), plus l'Italie, l'Allemagne et la Belgique où sont exportés chaque année plusieurs centaines d'embarcations.

Du canoë au San Remo, ces bateaux sont garantis 3 ans.

Louis, de son côté, s'oriente davantage vers la plaisance en proposant des bateaux du genre "Day Boat", cabin-cruiser de 7,5 m, modèle Pacha.

En 1967, toute la famille se penche sur un nouveau concept : le catamaran, bateau de vitesse pure. Deux de ces bateaux sont engagés aux 6 heures de Paris. Malheureusement, ils sont trop lourds et dépassés par la concurrence. En 1968, Oreste arrête la compétition puis, en 1969, prend la tête du chantier. De son côté, Louis crée une société de construction de remorques.

Les années 78/80, positionnent l'entreprise parmi les grands constructeurs de bateaux. Le 3ème choc pétrolier (1981) met la gestion du chantier en difficulté. Malgré le déclin, en 1985, le 100.000ème bateau sort des unités de production.

Oreste abandonne la direction du chantier en 1988 ; il nous quittera un an plus tard, à l'âge de 63 ans. Les années 90 seront décisives : le chantier est racheté par un groupe britannique Duncan/hydrosport, et déménage à La Rochelle. En 1995, c'est la fermeture définitive.

*******************

Rocca aux salons de Dijon et Marseille en 1954

En 1959, Salon Nautique de Paris (quais de Seine)

 

(1) Parmi les concessions, petit focus sur celle de Bordeaux Sainte Eulalie que dirigea Michel Dailliez de 1967 à 1971 (fin de l'activité). Cétait alors la grande époque du chantier et du caravaning et M. Dailliez était à la fois concessionnaire Rocca et Digue, sous l'enseigne SOCANA (Sud-Ouest Caravanes Nautisme), Bordeaux Yachting Services.

De sa retraite niçoise, Monsieur Dalliez, nous fait partager quelques souvenirs...

1968 (photo de gauche) : exposition de la gamme Rocca dans le cadre de la Foire internationale de Bordeaux, Place des Quinconces. Au premier plan, le Concorde.

1969 (photo de droite) : la Foire internationale de Bordeaux est déplacée, et ce de manière définitive, pour se tenir à Bordeaux-Lac. C'est l'inauguration de ce nouvel emplacement et la gamme ROCCA est bien représentée (malgré un intrus au centre de la photo, bateau à bande verte qui est un Polaris 25).

1972 : c'est l''inauguration du nouveau hall d'exposition

Au premier plan, le "Pacha" sur remorque "Nautilus", au fond à gauche le "Concorde"

Michel Dalliez a eu a chance de vivre cette grande époque ; nous le remercions pour ces images qui témoignent de l'importance de la concession et de ce chantier français.

Aujourd'hui, beaucoup de bateaux Rocca sont encore en vie, en plus ou moins bon état. Ils sont une partie de l'histoire qu'il ne faut pas oublier. Quelques exemplaires ont été restaurés de manière exemplaire. Nous les retrouvons régulièrement lors des différents rassemblements de bateaux historiques et tous les nouveaux propriétaires sont les bienvenus

Quelques exemplaires...

Rocca inbord à moteur Dauphine (Dominique M.) A gauche, en navigation sur le lac des Settons

Ci-dessous, une trouvaille de Claude C... Canoë Madeira oublié dans une grange

Sorti de grange, bon état général, des vernis à refaire!

Ce canoë a changé de mains mais reste au sein du cercle.

Alban G., son nouveau propriétaire, vient de saturer la coque de plusieurs litres de D1 ; ce canoë a retrouvé une nouvelle jeunesse, beau résultat. (avril 2014) et le voilà sur l'eau ..

.

Laurent nous a fait partager la restauration de son dinghy Rocca de 1965 : une restauration de qualité

Chantier terminé : laurent nous a rejoints sur le lac des Settons (juin 2015)

Deux canots pontés : en haut, celui restauré par Marc Antoine,

celui restauré par Raymond Guyard

Canoë restauré par Alban D. Bravo également pour cette belle restauration

"Merci beaucoup pour votre soutien et vos conseils pour la restauration de mon canoë. Après une année de travail (août 2010 – août 2011), celui-ci a été inauguré le 21 août 2011 dans le lac de Pierre-Châtel en Isère (38)".

Accastillage, objets ROCCA d'époque, documents, ...

Chiné sur un site de vente aux enchères : cette enseigne lumineuse

 

Un ouvrage préfacé par Oreste Rocca, paru en 1967 aux Editions Calmann-LEVY : ROCCA et sa Mandoline

Parmi les articles consacrés à Rocca :

"Les Meilleurs Jambes de Télé Match - Oreste Rocca, le sportif de cette mémorable émission télévisée"

"Quand Rocca jouait de la mandoline"

"Une vente épique au Salon Nautique de Paris en 1947"

Les cendriers publicitaires Rocca :

Il existait un modèle similaire, en métallisation dorée, réservé aux concessionnaires Rocca
Collection HJP
Collection Gérard M.
Collection Serge M.

Sur le premier, estampillé "modèle déposé", les inscriptions sont faites vers l'intérieur et le pilote se tient droit, alors que sur le deuxième, estampillé "SIPA FRANCE", les inscriptions sont vers l'extérieur et le pilote est penché en avant. Enfin, sur le troisième, le logo est sur la coque du bateau.

Rarissime, la boîte, à la vente à Avignon Rétro Festival 2016

Suite de l'article